Un conseil d’amie*…
Éteins cette radio. Coupe cette télé. Pose ce téléphone. Arrête de lire les infos. Et franchement celui-là, je me le martèle fort à moi-même. Parce que ces dernier temps, je n’arrive même plus à appliquer cette règle d’or de ne pas regarder mon téléphone pendant au moins une heure après mon réveil. Je me jette dessus chaque matin de peur que le monde ne se soit effondré dans la nuit. Avec les élections, mon temps d’écran est monté en flèche. J’ai installé sur mon téléphone les applis de plusieurs médias (et il faut soutenir la presse indépendante donc c’est une bonne chose !) et me suis remise à écouter France Info pendant mes marches, au lieu du chant des oiseaux ou de mes playlists de chanson française. Résultat : je vis dans l’angoisse permanente que Trump reprenne le pouvoir, que la température des océans monte encore d’un degré, qu’un acte raciste ou antisémite soit à nouveau commis ou que Macron nomme un premier ministre de droite à Matignon (LOL). Cette perfusion d’actu a des effets sur mon cerveau. Une irritabilité, une impatience, un bouillonnement intérieur que même ma méditation matinale n’arrive pas à canaliser. Je me suggère, et je vous suggère aussi, de ne pas regarder ce qu’il se passe dans le monde pendant une semaine, voire plus si vous le pouvez. Pas de réseaux sociaux, pas de journal quotidien, pas de chaîne d’info. Je m’applique cette détox de news chaque été, et paradoxalement, cela me permet de mieux me connecter au monde, car cela m’ouvre des espaces pour lire des livres, écouter de longs podcasts et surtout prendre du recul et réfléchir à cette drôle d’époque dans laquelle on vit. Cette semaine, j’ai commencé à écouter la Grande Traversée de France Culture sur Indira Ghandi et j’ai la chance de pouvoir me plonger sur le prochain Mona Chollet, sur la culpabilité, qui sortira à la rentrée…. Je vous jure, je respire déjà mieux. Et le monde ne va pas s’effondrer sans moi. Allez prenez soin de vous, et prenez vraiment votre temps.
Lauren
*dans cette rubrique, je propose un conseil pratique qui peut vous aider à prendre soin de votre santé mentale. Je parle depuis mon point de vue de femme cisgenre blanche avec un TDAH (trouble de l’attention avec hyperactivité) et des troubles dépressifs liés au stress post-traumatique, suivie depuis deux ans en thérapie comportementale et cognitive. Mes conseils sont à prendre comme ceux d’une amie concernée. Si vous traversez une période difficile, le mieux est de vous orienter vers un professionnel de la santé mentale. En cas d’inquiétude pour vous ou l’un·e de vous proche, vous pouvez appeler le numéro national du prévention du suicide, le 3114, des personnes formées vous écouteront.
ENTRETIEN
« On nous enjoint à considérer le genre et l'hétérosexualité comme les bases fondamentales de la stabilité du système », Morgan Noam, thérapeute engagé et auteur
Morgan Noam est un thérapeute engagé, auteur et activiste contre la transphobie. Il est aussi formateur sur les diversités de genre et de sexualité et directement concerné par la transidentité. Et puis accessoirement il accompagne l’équipe de Folie Douce en tant que référent psy depuis le premier jour :) En avril, il a publié son premier livre Ceci n'est pas un livre sur le genre aux éditions Hachette par le label féministe Les Insolentes. Dans une interview pour Radio Campus Paris, il explique avoir choisi ce titre pour que ses lecteurices comprennent que quand on traite des questions identitaires, on parle de tellement d'autres choses que le genre. Entretien.
Morgan Noam / Adeline Rapon
Folie Douce : Votre livre a la particularité de faire un travail de vulgarisation et de transmission très précis, afin de s’adresser au plus grand nombre justement pour éduquer les consciences. Est-ce que c’est votre fonction de thérapeute qui vous donne envie de vous adresser à toustes avec empathie ? Qu’est-ce que l’approche “psy” change, quand on parle de genre et de sexualité ?
Morgan Noam : L'être humain·e est entouré·e de croyances et de certitudes qui le rassurent. Le genre et l'hétérosexualité sont des données qu'on nous enjoint à considérer comme les bases fondamentales de la stabilité du système et des individus qui le composent. Ce qui nous encourage implicitement à condamner toustes celleux qui s'éloignent du modèle dominant. Si mon expérience de formateur auprès d'un public extrêmement varié m'a bien appris une chose, c'est qu'il est difficile d’aborder ces sujets auprès de personnes qui n’ont pas encore pu se donner l’espace d’y réfléchir pour elleux-mêmes. Pour beaucoup, cela peut être vécu comme une agression, une trop grande remise en question de leurs croyances les plus profondes, au point que l’information n’est simplement pas recevable en l'état.
Aborder ces sujets avec de l'empathie plutôt qu'avec une posture autoritaire de sachant, c'est dire à l'autre "fut un temps où j'étais là où tu es et je te propose, sans jugement, de t'accompagner parce que je connais la route et je sais là où tu risques de trébucher". C'est permettre à l'autre de s'autoriser à se questionner, à remettre en question ce qu'on lui a toujours présenté comme des vérités absolues. C'est lui faire comprendre qu'interroger ses certitudes, c'est reprendre du pouvoir sur sa propre existence en distinguant ce qui relève de ses propres désirs et ce qui résulte des injonctions sociétales et familiales. C'est l'encourager à être déloyal·e pour s'affranchir enfin.
Folie Douce : Votre livre est sorti au moment où une proposition de loi visant à interdire (entre autres) les bloqueurs de puberté s'apprêtait à être examinée au Sénat et au moment de la parution du pamphlet transphobe Transmania. Votre promotion s’est transformée en débat politique et vous avez contribué à organiser une grande manifestation contre la transphobie. Comment avez-vous vécu tous ces événements, sur le plan de votre propre santé mentale ? Comment avez-vous pris soin de vous ?
Morgan Noam : La situation actuelle est terrifiante, et ma manière de gérer les situations anxiogènes comme celles-ci, c'est de faire communauté et d'agir. Ce sont très clairement les deux choses qui m'ont sauvé depuis avril. Me rendre compte que je n'étais pas seul à m'inquiéter, à m'indigner, et trouver des camarades dans le même état pour faire front ensemble.
Ça a apaisé mon sentiment d'impuissance et de solitude face aux mastodontes que sont les systèmes coloniaux, patriarcaux et capitalistes. Surtout, j'ai découvert que l'activisme était une course de relais et non pas un marathon en solo. Et que ce relais permettait de souffler et de faire des pauses, parce qu'il y a toujours quelqu'un·e pour te substituer. Accepter que mon arrosoir ne pouvait arroser aucune fleur s'il était vide, m'a beaucoup déculpabilisé.
Mais s'engager activement, ça n'est pas donné à tout le monde, et chacun·e fait surtout comme iel peut.
Folie Douce : On vit une époque extrêmement anxiogène. La montée des discours de haine dans l’espace public, la menace de l’extrême droite, créent de la peur chez toutes les personnes subissant des discriminations dans la société. Minorités de genre, de race, de classe, personnes handicapées, malades, psychiatrisé·es… En tant que thérapeute, quels conseils donneriez-vous aux personnes paralysées par la peur pour prendre soin de leur santé mentale dans cette période douloureuse ?
Morgan Noam : Les personnes issues de groupes minoritaires et marginalisés sont exposées à un niveau de stress dont les groupes dominants (masculins, blancs, valides, cis-héteros, bourgeois, athés ou chrétiens...) sont épargnés. On appelle cette forme particulière de stress, le stress minoritaire, puisqu'il est en lien direct avec leur position minoritaire dans la société. Ces sévices font peser un fardeau disproportionné sur leurs épaules et provoquent des séquelles importantes sur leur santé mentale et physique, pouvant s’apparenter à des symptômes de stress post-traumatique.
L'agrandissement de la fenêtre d'Overton concernant les pensées d'extrême droite, la désignation systématique, quoi que sans fondement, des personnes racisées et queer comme responsables de tous les maux, les exposent à des risques accrus de violences. En témoigne la recrudescence d'agressions racistes et queerphobes de ces dernières semaines. Le stress, l'anxiété, les états dépressifs passagers ou prolongés, sont des réponses tout à fait normales au monde qui nous est proposé.
Mon premier conseil serait donc de tenter d'arrêter de culpabiliser pour ce que vous ressentez. S'il y a un coupable, ce n'est pas vous mais bien le système multi-discriminant dans lequel nous évoluons.
Au sein d'une société qui colonise et épuise les esprits et les corps au service du capital, mon deuxième conseil serait de trouver des espaces de repos. Des endroits où vous n'avez pas besoin de faire de la pédagogie sur votre vécu mais où vous pouvez vous contenter d'exister ; des endroits où votre identité n'est pas questionnée mais célébrée ; mais aussi et de manière très littérale, des créneaux (même très courts) où vous éloigner des réseaux et vous couper des attentes capitalistes. Dans un monde éreintant, se reposer est infiniment politique. Rappelez-vous que nous sommes des êtres-humain·es et non des faire-humain·es.
Enfin, le capitalisme valorise l'individualisme. Diviser, distinguer, isoler pour mieux régner est l'une des tactiques de domination les plus anciennes et les plus efficaces. Ne nous laissons pas avoir par cette stratégie délétère, faisons corps, faisons front, faisons communauté. Surtout ne restons pas seul·es. Contre l'adversité, toujours, choisissons l'entraide et la solidarité.
Folie Douce : Depuis vos prises de paroles, constatez-vous des changements ? Avez-vous trouvé des allié·es ?
Morgan Noam : Beaucoup sont encore persuadé·es que parce que l'on voit davantage de personnes ouvertement lgbt dans l'espace public et médiatique, tout irait mieux pour nous. Il est primordial de rappeler que la visibilité ne garantit pas la sécurité, c'est parfois même tout le contraire si la visibilité ne s'accompagne pas d'actes politiques clairs pour protéger cette population, ce qui est le cas avec les personnes trans.
Nous sommes plusieurs à nous exprimer sur ces sujets, mais nos voix sont recouvertes par le bruit assourdissant de la désinformation et de la calomnie à notre égard.
"En tant qu'allié·es, comment peut-on vous aider ?" est sans aucun doute la question que je reçois le plus souvent. Au-delà de vous encourager à vous éduquer sur le sujet, à aider financièrement les associations, à être intransigeant·es avec les remarques queerphobes, le conseil qui me semble le plus important et le plus pertinent à long terme est de prendre le temps de guérir de vos blessures. Pensez puis pansez vos plaies. Sans cela, vous continuerez, plus ou moins consciemment, à faire porter vos douleurs, vos frustrations, vos traumatismes non-résolus aux personnes minorisées.
Être allié·e, ça n'est pas se placer en sauveur·ses, c'est oser se regarder dans le miroir et se dire que parce que nous avons été éduqué·es dans une société sexiste, classiste, validiste, raciste, nous faisons partie du problème.
Mais c'est aussi et surtout se dire que le système qui opprime les personnes queer est exactement le même qui vous oppresse. Que si la violence ne s'exprime pas vraiment de la même manière, l'agresseur est commun. Nous n'avons pas besoin de tout comprendre pour compatir parce que nous souffrons du même mal. Il est urgent de se rendre compte que nous sommes toustes affecté·es par les conséquences de la binarité de genre. Toutefois, le fait que nous souffrions toustes à notre manière nous empêche de comprendre et d’écouter la douleur de l’autre. Se battre pour les droits trans, c'est lutter pour le droit de tout·es êtres humain·es à disposer librement de son corps et à auto-déterminer son identité. Et c'est ce que je souhaite à tout le monde. Si les personnes trans peuvent changer de paradigme et traverser les frontières de la binarité pour créer une version d'elles-mêmes qui n'est pas dictée par les injonctions sociétales, vous le pouvez tout autant.
Nous avons été conditionné·es à penser que nous ne pouvons être aimé·es que si nous parvenons à correspondre à des standards bien précis. Soyez assuré·es que vous êtes infiniment aimables et ce, exactement comme vous êtes.
Ce que j’ai écouté, lu et vu…
Morgan Noam a été invité par les super Camille et Justine dans leur podcast On s’tient au jus. Comme d’habitude c’est à la fois engagé et très drôle, n’hésitez pas.
Ce documentaire, Joseph à la folie, d’Eden Shavit, disponible sur France TV, raconte le quotidien de Joseph, quadragénaire schizophrène, et ses liens avec son entourage. Un film qui montre la réalité de la maladie et de la vie de celleux qui en souffrent.
Le dernier spectacle de cette queen qu’est Swann Périssé, qui en deux semaines a réussi l’exploit de créer et monter plus d’une heure sur le thème des élections législatives suite à la dissolution de l’Assemblée nationale. C’est drôle, c’est précis, et ça m’a fait du bien.
Si vous voulez (ré)écouter l’épisode de La Poudre avec Swann, Tahnee et Rosa Bursztein, c’est par ici.
J’aime beaucoup le podcast Emotions, de Louie Media, et j’ai vu qu’iels lançaient “L’adolescence des émotions”, en écho à la sortie de Vice-Versa 2 - par ailleurs un autre film que je vous conseille. J’ai hâte d’écouter tout ça.
[PETITE DOUCEUR]
Yoa sur la jeunesse et les réseaux sociaux
Une fois par mois, l’équipe de Folie Douce partage avec vous les extraits les plus marquants des épisodes du podcast. Cette semaine, Yoa évoque la dépréciation des jeunes par les générations suivantes, le monde du théâtre et son racisme systémique, mais aussi son rapport à la solitude.
Folie Douce donne la parole à des artistes, des militant·es, penseur·euses pour explorer leur parcours de santé mentale à la lumière de leur travail artistique ou politique. Ce podcast a pour vocation de faire émerger des récits à la première personne. Les propos de ses invité·es n’ont pas valeur d’expertise. Le terme « folie » est employé ici à des fins de renversement du stigmate et de réappropriation d’une identité habituellement imposée et marginalisée.
Certains épisodes de Folie Douce peuvent évoquer des sujets tels que le suicide, le féminicide, la dépression, la bipolarité, le racisme, la grossophobie, la transphobie, la drogue.
Consultant : Morgan Noam, psy engagé
Si vous traversez un moment particulièrement difficile, vous pouvez appeler le 3114, des personnes formées vous écouteront et vous orienteront.
Programmation et Presse : Marie Laurence-Chérie / marie.laurence.cherie.prod@gmail.com
Partenariats : Mélanie Vazeux, The Podcast Bureau / melanie@thepodcastbureau.fr
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